Garde partagée : des enfants rendus vulnérables?

2016-06-16-dessin-enfants

Le Devoir publiait le 6 juin dernier un texte sur l’évolution des formes de garde et concluait, se basant sur une étude récente produite par Émilie Biland et Gabrielle Schütz, que la garde partagée entre les deux parents est de plus en plus courante parmi les ménages séparés. Or, si le modèle de garde partagée semble être de plus en plus commun, il ne faudrait pas non plus croire que la formule convient à tous.

 L’augmentation de la fréquence de la garde partagée comme mode de partage des responsabilités parentales s’avère de prime abord une bonne nouvelle. Elle indique que les pères cherchent plus qu’autrefois à s’impliquer auprès de leurs enfants, comprenant le rôle déterminant qu’ils jouent auprès d’eux. Pour les femmes, le modèle de garde partagée indique aussi qu’elles occupent davantage le marché de l’emploi. En somme, le modèle de garde partagée semble correspondre à l’intérêt de nombreuses familles, en plus d’être un indicateur d’une plus grande parité entre les hommes et les femmes.

 Les tribunaux québécois cherchent à faire primer l’intérêt supérieur de l’enfant dans leurs décisions. Or, il convient de noter que très peu de recherches ont été conduites sur l’effet d’une garde partagée sur les enfants. Formellement, on ignore donc dans quelles situations (âge de l’enfant, relation entre les deux parents, etc.) la garde partagée convient réellement à court et long termes. Il n’y a donc pas non plus de conditions très claires à suivre pour recommander qu’une garde partagée soit établie entre les deux parents. 

Violence conjugale

 Fait marquant, la violence conjugale n’est pas prise en compte dans le jugement qui est rendu sur la garde de l’enfant. Les tribunaux considèrent que la violence cesse une fois que les parents sont séparés. Or, ce n’est pas le cas, vous répondront les maisons de femmes qui accueillent celles qui sont encore les principales victimes de toutes les formes de violence conjugale. La littérature tend à démontrer que les enfants ont besoin de leurs deux parents pour se développer sainement. Néanmoins, les données probantes montrent encore plus clairement que les enfants ont besoin d’entretenir un lien affectif fort avec un adulte aimant, souvent encore d’abord la mère, particulièrement à un jeune âge. De plus, la santé psychologique de la mère est un facteur déterminant dans le bien-être des enfants. L’intérêt supérieur des petits pourrait donc être directement lié à celui de la mère. Protéger celle-ci d’un ex-conjoint violent, notamment en réduisant le nombre de contacts entre les deux, pourrait bien correspondre à l’intérêt supérieur de l’enfant.

 Les cas de violence conjugale concerneraient entre 10 et 15 % des couples en instance de séparation, selon une revue de littérature effectuée par Nielsen (2011) dont la recherche de Biland et Schütz fait mention. Ces couples très conflictuels risquent de se retrouver devant les tribunaux. Devant la quasi totale absence de mécanismes pour reconnaître ces cas de violence conjugale et la volonté délibérée d’ignorer ces situations, les tribunaux risquent de rendre ces femmes vulnérables, et donc leurs enfants. L’absence de vigilance revient à perpétrer ces cycles de violence qui, on l’imagine, ne bénéficient d’aucune manière aux enfants coincés dans ces situations.

 Ce mois-ci marque le premier anniversaire du dépôt du rapport rédigé par le professeur Alain Roy sur la réforme du droit de la famille. Le rapport souligne que plusieurs aspects du Code civil n’ont pas été revus depuis 1980, et ce, alors que le portrait des familles québécoises a largement changé. La question de la garde partagée n’est pas formellement abordée dans le rapport. Toutefois, elle semble être la nouvelle mode en matière de droit de la famille. Il conviendrait sans doute de réfléchir également sur les conditions dans lesquelles on souhaite que les enfants divisent leur temps entre deux maisons, notamment en regard des cas de violence conjugale.

 Au cours des deux dernières décennies, des pères se sont battus, et avec raison, pour voir et éduquer leurs enfants après une séparation. Maintenant, le balancier est peut-être en train de se rendre à l’autre extrême. En l’absence d’une réflexion commune et documentée, la garde partagée a rendu vulnérables des enfants — et leurs mères.

lire le texte sur le site du Devoir

Crédits photo : Stepan Popov Getty Images, dans le Devoir du 16 juin.