Quand le proprio s’invite dans la douche

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Tout cela se passe au Québec, dans les grandes, les moyennes et les petites villes. Des propriétaires ou des concierges qui possèdent un double de la clef des appartements qu’ils louent en profitent pour entrer sans préavis, attendant le moment où les locataires sont dans leur douche ou couchées pour s’inviter impunément chez elles. Pas besoin de beaucoup d’imagination pour comprendre ce qui se passe ensuite.

Depuis trois ans, les militantes du Centre d’éducation et d’action des femmes ont rencontré plus de 120 femmes locataires et chambreuses pour écouter le récit de leurs agressions sexuelles qui vont du voyeurisme dans leur appartement, à l’exhibitionnisme en passant par des avances et des agressions sexuelles de la part du propriétaire de leur logement, du concierge, du gestionnaire de l’immeuble ou du cochambreur, et ce, malgré les lois qui assurent aux femmes locataires la sécurité dans leur logement.

C’est pour sensibiliser la population à ce genre de situation que le Musée éphémère, créé par le CÉAF, a terminé sa tournée québécoise à Trois-Rivières, lundi, où il a été accueilli par l’organisme COMSEP.

Les pièces qui composent ce musée mobile témoignent des situations dramatiques vécues par les victimes.

Une porte illustre l’anxiété ressentie par les femmes sachant que leur propriétaire possède un double des clefs de l’appartement. Des tiroirs témoignent d’histoires où des sous-vêtements féminins sont disparus après la visite du concierge, venu pour une réparation. Il y a aussi l’histoire de cette femme violée par son concierge qui a porté momentanément une cagoule pour l’occasion.

Une autre femme a vu sa vie basculer lorsque son cochambreur s’est mis à utiliser son statut d’immigration précaire pour la contraindre, la dénigrer, l’humilier et l’agresser.

Et il y a aussi ces cas de femmes qui se font offrir d’annuler leur dette de loyer en échange de services sexuels.

«Dans la très grande majorité des situations, l’agresseur était connu de la victime», indique Joëlle Boucher-Dandurand du CALACS. 

«Ce sont des gens qui ont des informations personnelles et privées, qui ont accès à leur domicile et qui peuvent user de ce pouvoir-là pour les contraindre à des actes sexuels», dit-elle.

Le phénomène n’a pas beaucoup changé, depuis les années 1980, alors qu’une première étude de la situation avait été réalisée, rappelle-t-elle. 

«Dans les grandes villes, où il n’y a pas suffisamment de logements, les femmes se trouvent un peu contraintes d’accepter des avances sexuelles parce qu’elles vivent beaucoup de discrimination à la location, donc elles se disent que c’est le prix à payer pour avoir un logement», explique-t-elle.

Évidemment, «la loi ne permet pas à un propriétaire d’entrer dans un logement sans un préavis de 24 heures et un gestionnaire d’immeuble n’a pas le droit de harcèlement envers une locataire», rappelle Mme Boucher-Dandurand.

Alors qu’il faut énormément de démarches légales pour arriver à évincer un locataire d’un logement qu’il ne veut pas quitter, bien des femmes subissent ce genre de régime de terreur de peur de perdre leur logement.

Souvent, ces femmes sont en situation d’isolement «et ne connaissent ni bien la loi, ni la langue et elles se font menacer de se faire déporter ou de se faire dénoncer à l’immigration. Il y a utilisation d’un rapport de pouvoir», explique Mme Boucher-Dandurand.

Diane Vermette, coordonnatrice du Comité logement Trois-Rivières, indique que les personnes qui font appel à ce comité sont à 70 % des femmes. 

«Dans les deux dernières années, on a eu 53 demandes qui concernaient des abus, de l’intimidation et de la violence», dit-elle, un chiffre qui a doublé en date de mars 2017 précise Mme Vermette qui y voit un lien avec les mesures d’austérité du gouvernement Couillard.

Paru sur Le Nouvelliste

Crédits photo: OLIVIER CROTEAU, LE NOUVELLISTE