Les règles sur le statut d’Indien à nouveau jugées discriminatoires envers les femmes

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Portés devant la Cour supérieure du Québec, deux cas de discrimination ont convaincu la juge Chantal Masse que certaines dispositions de la loi violaient le droit à l’égalité, garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. « Nous venons de gagner une bataille historique », a exprimé Denis Landry, chef de Wolinak. C’est cette communauté, avec celle d’Odanak, qui est à l’origine de la cause.« Nous vivons une très belle victoire pour la nation abénaquise et les femmes, qui démontre une formidable persévérance », a renchéri Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec.

La juge Chantal Masse a donné 18 mois au gouvernement fédéral pour corriger les articles qui font défaut, qui concernent le droit à l’inscription au « statut d’Indien ». Elle avertit que son jugement sur les deux cas précis soumis « n’exempte pas le législateur de prendre les mesures appropriées afin d’identifier et de régler toutes les autres situations discriminatoires ».

Un enjeu de longue date

Ce n’est pas la première fois qu’une cour rappelle à l’ordre le gouvernement sur la question de la discrimination envers les femmes autochtones. Avant que la Loi sur les Indiens ne soit modifiée en 1985, elles perdaient leur statut lorsque mariées à un non-autochtone. Leurs enfants ne pouvaient alors pas être inscrits au registre des Indiens, le seul « principe de transmission patrilinéaire » s’appliquant, comme l’explique Sébastien Grammond, spécialiste du droit des peuples autochtones à l’Université d’Ottawa. Cette discrimination directe, « sans aucune subtilité », écrit la juge Masse dans son jugement, a pris fin avec la loi de 1985.

Mais « même avec la loi de 1985, l’idée que l’on perdait le statut après deux générations de mariage non indien était maintenue », expose M. Grammond. En d’autres termes, lors des mariages mixtes, le statut d’Indien de l’enfant était « dilué ». De mariage mixte en mariage mixte, cette « dilution » était plus rapide si c’est la mère qui passait son statut et mariait un non-Indien. L’arrêt McIvor, de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, a donc considéré que la discrimination persistait pour les petits-enfants des femmes autochtones, forçant le gouvernement à modifier de nouveau la loi en 2010.

Mais voilà que des zones d’ombre continuaient d’exister, comme le montrent les cas de Susan Yantha et Stéphane Descheneaux soumis à la Cour supérieure. L’un concerne une femme née hors mariage avant 1985, et l’autre un homme né d’un mariage formé avant 1985. Le chef Landry reproche au gouvernement de « n’avoir fait que le minimum pour corriger la loi en 2010 », malgré le jugement McIvor. Ce que la juge Chantal Masse n’a pas manqué de noter : « Le législateur, dans la loi de 2010, a choisi de restreindre le remède apporté aux seules parties au litige dans McIvor et aux personnes dans une situation rigoureusement identique à la leur ». Elle avertit de trouver cette fois une loi en tenant compte de l’ensemble des situations.

Possibilité d’appel

Le gouvernement a 30 jours pour faire appel de la décision, ce qu’il ne manquera pas de faire selon Viviane Michel et Sébastien Grammond. Le chef des Abénaquis de Wolinak, Denis Landry, invite quant à lui le gouvernement à « s’asseoir avec les Premières Nations et à changer les dispositions discriminatoires pour démontrer sa bonne foi ». On ignore combien de membres des Premières Nations pourraient revendiquer le statut si les règles étaient modifiées. Mais « c’est une question identitaire, un exemple donné aux autres communautés de résultats obtenus après s’être mis en branle », souligne Mme Michel.

Quant aux modifications souhaitables, le dilemme persiste, selon M. Grammond. Le système où l’appartenance est déterminée selon la seule généalogie, en éliminant le critère de « proportion de sang », pourrait faire exploser le nombre de personnes admissibles. L’autre possibilité est de donner de plus en plus de poids au statut de membre d’une bande — différent du statut d’Indien — bande qui peut alors mettre en place ses propres mécanismes d’adhésion. Le code d’appartenance d’un conseil de bande peut en effet avoir préséance sur les critères d’admissibilité au statut d’Indien, sur des facteurs comme la participation à la vie de la communauté ou la connaissance de la culture et de la langue, par exemple.

Lire l’article du Devoir