Un cri du cœur des maisons : ça va bien aller, sérieux ?

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Et sincèrement, lorsque je regarde autour de moi, pendant le confinement et le déconfinement partiel… je vois des choses en contradiction avec ce mantra. Et non, je ne crois pas automatiquement que ça va bien aller.

Depuis le début du confinement, comme mes collègues et plusieurs citoyennes et citoyens, je n’ai pas arrêté de travailler. Travaillant dans un service essentiel du communautaire, il était indispensable de continuer à travailler. Et encore plus fort!

Étant responsable de l’organisme, je me suis retrouvée avec un vent d’ouragan d’inconnus et une pression incommensurable afin de préserver la santé, la sécurité, un climat de travail sain, équilibré autant que possible. Tout en sachant que les dépenses augmenteront et que certaines donations ne seront pas au rendez-vous.

La pression, le stress, l’inconnu, les multiples chambardements que mes collègues et moi vivons depuis le Jour 1 de la pandémie, est difficile à gérer de manière constante. On ne pouvait que compter que sur nous. Nous devions rapidement agir, réfléchir, communiquer … pour saisir les enjeux, et prendre les décisions et mesures nécessaires pour protéger tout le monde. Il était urgent, car des femmes violentées et leurs enfants étaient dans notre ressource d’hébergement, pour ne pas la nommer, Regard en Elle.

Toutes les travailleuses ont été bousculées dans leurs habitudes, leurs tâches… le milieu de travail est devenu un lieu plus angoissant qu’à l’habitude. Et pourtant, nous avons une certaine expérience en matière de crises, du stress…

Et imaginez l’impact sur les femmes hébergées et leurs enfants ? Moi-même, j’ai de la difficulté. Ces femmes au cœur meurtri, épuisées, souffrantes… préoccupées par mille et une choses… pour elles et pour leurs enfants. Logeant dans un lieu inconnu avec des inconnues, pour certaines dans une ville inconnue. Avec la Covid-19 et le confinement, elles sont maintenant confrontées à de nouvelles mesures et fonctionnement internes (en plus des mesures préventives punaises, poux…). Elles ont peur de ce virus comme tout le monde, elles font face à de nouveaux obstacles (comme si elles en avaient pas déjà assez ?). Confinées et limitant leurs sorties à l’essentiel, elles maintiennent le 2 mètres entre-elles et les travailleuses, désinfectent plus que pas assez… Elles ne peuvent pas pleurer sur l’épaule d’une amie, avoir une accolade méritée qui lui ferait tant de bien…

Sans oublier que la plupart des démarches sont au ralenties lorsqu’elles ne sont pas au point mort. Arrive le port du masque ; pour certaines c’est symboliquement revivre le masque invisible qu’elles ont porté si longtemps, les forçant au mutisme. Enfin, pour celles qui réussissent à se relocaliser comme dans une 2e étape ou un logement, certaines ne pourront pas emménager étant donné la fermeture des ressources pouvant les aider en ameublement.

N’oublions pas les femmes qui utilisaient nos services en externe (des femmes qui pourraient avoir besoin de l’hébergement, des femmes vivant la violence de l’ex-conjointE, harcèlement d’un voisinE…). Ces femmes vivant la même chose que celles hébergées mais ces rencontres individuelles ou de groupes étaient des moments privilégiés et sécuritaires. Une ou trois heures pour briser le silence, dévoiler ce qu’elles vivent, trouver des pistes de solution, briser l’isolement, développer leurs connaissances, reconstruire leur estime de soi un pas à la fois… Ces femmes qui ont accès qu’à nos rencontres téléphoniques (rarement possible les vidéoconférences) mais dans un contexte de confinement, et par conséquent, pour certaines ce n’est pas nécessairement facile d’avoir un lieu sécuritaire pour ce rendez-vous tant nécessaire. Pour toutes ces femmes, la situation de la Covid-19 est un poids supplémentaire à ce qu’elles vivent au quotidien, alors, leur répéter « Ça va bien aller » … c’est difficile… car nous ne le savons pas vraiment.

Les médias parlent beaucoup des héroïnes et héros de la santé et avec raison, mais sachez que dans notre ressource d’aide et d’hébergement, il y a plusieurs héroïnes comme les bénévoles, les membres du conseil d’administration, lesfemmes hébergées et leurs enfants, ainsi que les travailleuses. Tout ce monde se serre les coudes et s’entraide depuis le Jour 1 du confinement.

Nous n’aurions jamais pu maintenir nos services (mais de manière différente …), d’accueillir de nouvelles femmes hébergées, d’organiser un espace pour une femme ou famille positive à la covid-19, sans la précieuse contribution de toutes ces personnes. Il est important de les remercier haut et fort, mais pour des raisons évidentes de confidentialité/sécurité, je vais taire leur nom. Mais j’espère que vous vous reconnaissez et que vous acceptez votre qualificatif d’héroïne ! Vous êtes de réelles héroïnes et je me considère très choyée de vous côtoyer ! Merci

Je ne peux pas passer sous silence les travailleuses de notre chère Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, qui font des pieds et des mains pour défendre nos droits et ceux des femmes violentées dans ce contexte particulier ou encore, les travailleuses du GALOP qui nous aide à résoudre les problèmes relatifs au confinement avec notre Maison Deuxième étape.

Mais surtout, mettons les projecteurs sur mes collègues de travail. Un apport indéniable, que la travailleuse soit régulière, contractuelle, remplaçante et peu importe la fonction. Et je rajouterais aussi celles qui sont en arrêt car elles ne sont jamais loin. Enfin, toutes ces femmes ont choisi de travailler dans le communautaire, dans un service essentiel. Elles ont choisi Regard en Elle et sa cause et depuis ce jour, sont parties prenantes de la lutte à la violence faite aux femmes.

Ces travailleuses sont plus que dévouées aux femmes violentées et à leurs enfants. Elles sont avant d’être des travailleuses, des femmes, mères, grands-mères, conjointes, étudiantes…, qui malgré leurs propres défis et sacrifices personnels, n’ont jamais mis en priorité leur intérêt personnel ni au détriment des femmes violentées et leurs enfants et ni de l’organisme. Des femmes de cœur et de tête, toujours présentes aux rendez-vous et s’investissant corps et âme, à sauver des vies ! Merci à vous toutes, chères héroïnes, chères consœurs !

Enfin, avant-même de pouvoir dire ou entendre ça va bien aller… j’aimerais croire que l’imbécillité, l’ignorance, la malveillance, l’égoïsme humain et j’en passe, n’auront pas pour effet de faire revivre cette épisode de confinement aux femmes violentées dans nos ressources, leurs enfants ainsi qu’à mes collègues bénévoles et de travail.

Prenons conscience des impacts de nos actions et de nos actes de délinquance et ce, petits soient-ils… Si tout le monde est un peu délinquant de temps à autre, qu’arrivera-il ? Qui vivra une fois de plus les conséquences ? Certaines femmes dans nos ressources se retrouvent à prolonger leur séjour, car tout est en stand-by. Certaines dans le besoin n’ont pas accès aux ressources, faute de place. D’ailleurs, notre ressource vivait déjà un taux d’occupation moyen de plus 100% et ce, depuis plusieurs années ainsi que d’un nombre moyen odieux soit, 250 demandes d’hébergement refusées faute de place. La Covid-19, le confinement, n’aide en rien.

  • Pour les femmes violentées hébergées à un pas de se relocaliser dans leur petit chez eux
  • Pour les femmes violentées qui veulent arriver au bout de leurs démarches
  • Pour les femmes violentées qui veulent un hébergement sécuritaire dans nos maisons
  • Pour les travailleuses qui sont parfois, et avec raison, à bout de souffle
  • Pour toutes les personnes qui ont perdu leur emploi ou encore la vie dans ce contexte de pandémie

Agissons de manière responsable

Commettre des erreurs ça va… Avoir des glissements ça va…

En autant que nous apprenons de cela afin de ne pas les répéter à nouveau.

Et là, je pourrais dire et entendre avec douceur: ça va mieux aller !

 

Source : Un texte de l’équipe de la Maison Regard en Elle

Crédit photo : Cory Woodward/ Unslpash