Une femme sur trois, un homme sur six

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La culture du viol est un fléau sociétal qui a fait couler beaucoup d’encre avec le mouvement #AgressionNonDénoncée devenu viral sur les réseaux sociaux au moment de la polémique entourant l’affaire Ghomeshi, les campagnes de sensibilisation « sans oui, c’est non » en période d’initiation sur les campus ou la série télévisée 13 Reasons Why.

Pourtant, la contamination des tribunes publiques par l’ignorance et les raccourcis intellectuels est d’actualité et démontre qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour faire évoluer les mentalités. Les commentaires racistes sur Internet de la juge sud-africaine blanche Mabel Janson qui suggérait que le viol fait partie intégrante de la « culture noire » et les propos misogynes tenus à la radio le 24 mai dernier par le « doc Mailloux » qui insistait sur le problème de libido d’une auditrice, davantage que sur les agressions sexuelles qu’elle rapportait avoir subies par son conjoint, en sont deux illustrations parmi (trop) d’autres.

Peu importe le niveau de violence utilisée. Peu importent le lieu et l’auteur de l’agression. Peu importent les différences culturelles. Au même titre que l’habillement de la victime, ce n’est pas une raison. Ni une circonstance atténuante. Toute agression sexuelle demeure inacceptable, violente et criminelle.

Je considère que l’inadéquation de certaines réactions est symptomatique d’un mal de société et d’un système lacunaire qui nous dépasse individuellement et qui relève de notre responsabilité collective.

Améliorer la prise en charge des vicitmes

Des changements s’imposent, notamment pour améliorer la prise en charge des victimes accompagnant leur dévoilement et leur dénonciation. Par exemple, le délai suivant la dénonciation pour remplir une déclaration détaillée et filmée peut être de plusieurs mois. Ce délai est peut-être causé par un manque d’effectifs, mais n’est certainement pas par le lot de plaintes, puisqu’uniquement 5 % des crimes sexuels sont rapportés à la police (Juristat, 2014). En effet, les agressions de nature sexuelle sont les types d’agressions contre la personne qui sont les moins dénoncées aux autorités policières.

Qui plus est, un tel délai participe à réduire les victimes au silence, à les décourager en les plaçant en attente et à inciter certaines à retirer leurs plaintes, en plus d’entraver leur processus de reconstruction.

C’est d’autant plus troublant à la lumière du fait que la preuve d’une agression sexuelle repose parfois sur l’unique témoignage crédible et précis de la victime, et que 3 plaintes pour agressions sexuelles sur 1000 se soldent par une condamnation (Juristat, 2014), un doute raisonnable menant à un verdict de non-culpabilité.

Sans parler que l’arrêt Jordan nous rappelle que la victime, un simple témoin dans l’équation, n’a pas de contrôle sur les délais qui peuvent mener à l’abandon des accusations criminelles. Sans parler non plus de certaines condamnations trop clémentes en pareille matière qui frôlent le déni de justice et du risque de se faire victimiser à nouveau dans le processus judiciaire. À cet effet, rappelons les propos tenus par le juge Robin Camp, qui a démissionné en mars dernier, à l’occasion d’un procès à Calgary en 2014 : « Vos chevilles étaient tenues ensemble par votre jeans, votre skinny jeans, pourquoi n’avez-vous pas serré les genoux ? […] Vous ne pouviez pas enfoncer vos fesses dans le lavabo pour éviter la pénétration ? Vous pouviez crier, si vous aviez peur. […] Le sexe et la souffrance, ça vient parfois ensemble… Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. »

Nous ne sommes pas le pire système de justice, mais j’espère que nos valeurs et que nos priorités québécoises nous permettent d’aspirer à des améliorations à plusieurs égards. 

Une véritable prise de conscience s’impose pour détruire les mythes, les stéréotypes et les préjugés afférents aux agressions sexuelles. Au-delà des pressions gouvernementales pour éduquer davantage la population et revisiter les protocoles actuellement en place, chacun de nous devrait se sentir interpellé, car c’est ensemble que nous réussirons à briser le silence.

Paru dans Le Devoir

crédits photo: Jacques Nadeau Le Devoir