Quand le milieu de travail se mêle de la violence conjugale

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Tour d’horizon des politiques en place ici et là-bas, certaines plus généreuses que d’autres.

Sept ans de lutte

Jan Logie n’a pas su retenir son cri de joie quand le Parlement d’Auckland (Nouvelle-Zélande) a appuyé son projet de loi, à 63 voix contre 57. Mais après sept ans de bataille législative, ses collègues députés lui ont pardonné ce comportement bien peu parlementaire. « La violence contre les femmes et les enfants a été l’une des principales raisons qui m’ont poussée à m’impliquer en politique », raconte l’élue du Parti vert, formation actuellement au pouvoir aux côtés du Parti travailliste. De toutes ses années de travail dans le milieu communautaire, elle se rappelle ces femmes qu’elle a vues perdre leur emploi en raison d’un foyer violent. Parce que les impacts de la violence familiale s’étendent au-delà des murs de la maison, en Océanie comme ici.

En 2014, l’Université de Western Ontario et le Congrès du travail du Canada ont mené la toute première enquête canadienne sur les effets de la violence conjugale en milieu de travail. Peut-on être en sécurité au travail quand on ne l’est pas à la maison? a révélé que 8,5 % des victimes de violence conjugale soutiennent avoir perdu leur emploi pour cette raison. Près de 82 % d’entre elles considèrent que leur situation familiale a nui à leur rendement professionnel, décrivant au passage le manque de concentration, les absences et la fatigue. C’est sans compter le harcèlement par textos, courriels, ou téléphone, quand ce n’est pas carrément le ou la conjoint·e violent·e qui se présente sur les lieux du travail, des réalités vécues par plus de la moitié des victimes. En 2009, une autre étude canadienne estimait que les conséquences directes et indirectes de la violence conjugale coûtaient aux employeuses et employeurs canadien·ne·s 77,9 millions de dollars par an.

« La violence contre les femmes et les enfants a été l’une des principales raisons qui m’ont poussée à m’impliquer en politique. » — Jan Logie, membre de la Chambre des représentants de la Nouvelle-Zélande et membre du Parti vert.

L’entreprise-payeuse

C’est en partie pour cette raison que la Nouvelle-Zélande a décidé de faire payer les entreprises. Dès l’entrée en vigueur de cette nouvelle politique, en avril 2019, les 10 jours de congé payé aux victimes seront aux frais des patron·ne·s. « Il ne faut pas parler d’un coût pour les employeurs, parce que cette mesure permettra de réduire le taux de roulement du personnel, d’augmenter la productivité », assure Jan Logie, qui parle d’une solution gagnant·e-gagnant·e. Un argument qui n’a pas convaincu l’opposition néo-zélandaise, qui a retiré son appui au projet de loi, arguant les dépenses trop importantes pour les petites et moyennes entreprises.

Le gouvernement d’Auckland rétorque qu’il est primordial d’envoyer un message clair à toutes et tous : ce problème nécessite une prise en charge de l’ensemble de la société et idéalement en amont, avant l’appel aux policiers ou la visite à l’hôpital. Autrement dit, la violence conjugale, c’est l’affaire de tout le monde. Un message d’autant plus important à transmettre dans ce pays, pionnier de la défense des droits des femmes, certes — il fut en 1893 le premier au monde à leur accorder le droit de vote —, mais qui est aussi l’une des nations dites développées les plus touchées par les violences conjugales. La Québécoise Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, abonde dans le même sens : « Jusqu’aux années 80, la problématique de la violence conjugale était considérée comme appartenant au domaine privé. Ça fait seulement 30 ans au Québec que c’est considéré comme une problématique sociale. »

Croire les survivantes

Concrètement, les employé·e·s qui souhaiteront bénéficier du congé néo-zélandais n’auront qu’à en faire la demande à leur gestionnaire; il s’agit d’un système bâti sur la confiance. « C’était un aspect très important pour nous d’envoyer ce message à toute la société : nous nous engageons à croire les survivantes quand elles osent parler », souligne Jan Logie. Un aspect de la loi applaudi par Manon Monastesse : « Se déclarer comme victime de violence conjugale, c’est déjà extrêmement difficile, alors je n’imagine pas que des femmes puissent faussement invoquer ce motif-là. » La loi néo-zélandaise prévoit par ailleurs que si un employeur a un doute raisonnable, il est en droit d’exiger une preuve, une note du médecin par exemple. Ces 10 jours peuvent servir à se trouver un appartement, déménager, inscrire les enfants dans une nouvelle école, se présenter à la Cour, obtenir de l’aide psychologique, etc.

Au-delà des deux semaines de congé payé, dont les médias du monde entier ont abondamment parlé, une disposition de la loi de Jan Logie stipule qu’il est illégal pour un employeur de discriminer les victimes de violence conjugale. L’objectif est de tout mettre en place pour les encourager à parler et à utiliser ces mesures, sans crainte que cela nuise à leur parcours professionnel.

Sont aussi prévues dans cette loi des conditions de travail flexibles pour assurer la sécurité des victimes. Un·e survivant·e peut demander à ce que ses horaires, ses tâches, ses coordonnées professionnelles, voire même son lieu de travail, soient changés. Et, évidemment, à ce que toutes ces nouvelles informations restent confidentielles. Rien de tel n’existe au Québec.

Dans la Belle Province

Ce que le Québec offrira aux survivant·e·s de violence conjugale ou à caractère sexuel, à compter de 2019, c’est deux jours de congé payé et la possibilité de s’absenter du travail jusqu’à 26 semaines sur une période de 12 mois (sans salaire), sans craindre de perdre leur emploi. C’est ce que prévoit la nouvelle mouture de la Loi sur les normes du travail adoptée le printemps dernier. Un principe très louable selon la directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, mais malheureusement assorti de mesures trop peu invitantes. « Demander un congé sans solde, c’est avoir à choisir entre un revenu décent et la sécurité. Surtout pour deux jours : est-ce que moi, en tant que femme victime de violence, je vais officiellement avouer que je suis victime de violence dans mon milieu de travail pour avoir deux jours de congé? J’en doute », conclut Manon Monastesse.

« Se déclarer comme victime de violence conjugale, c’est déjà extrêmement difficile, alors je n’imagine pas que des femmes puissent faussement invoquer ce motif-là. » — Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, au Québec.

D’autres provinces canadiennes sont plus généreuses en ce qui a trait à la portion rémunérée : le Manitoba, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick offrent cinq jours de congé payé et en moyenne 15 semaines de congé sans solde. Depuis le 1er août, l’Australie propose cinq jours de congé non payé et les Philippines, précurseures, ont instauré, il y a 14 ans, 10 jours de congé payé.

Pourquoi Québec a opté pour seulement deux jours de congé payé? Au cabinet de Dominique Vien, ministre responsable de Travail et instigatrice du projet de loi dans le gouvernement précédent, la coordonnatrice aux communications, Michèle Morand, se limite à dire que « le projet de loi a été adopté à l’unanimité par tous les partis de l’Assemblée nationale ».

Jan Logie se souvient que la Nouvelle-Zélande a aussi considéré un congé non rémunéré, compte tenu des critiques alléguant que les entreprises n’avaient pas les moyens de payer. Concernant la loi québécoise, elle affirme que « deux jours payés, c’est dommage. Il est injuste d’attendre d’un·e victime ou d’un·e survivant·e qu’elle soit obligée de choisir entre sécurité et pauvreté ».

Certes, le milieu communautaire accueille favorablement ces nouvelles politiques, considérées comme un pas vers la bonne direction. Mais visiblement, il y a des pas plus grands que d’autres…

Source: Gazette des femmes