Quand la santé publique encaisse : des organismes dénoncent la désorganisation du réseau

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Prévention du suicide, de la violence conjugale et des infections transmissibles sexuellement et par le sang, lutte contre le tabagisme, soutien à l’allaitement, promotion des saines habitudes de vie… autant de programmes touchés par ces compressions.

À Suicide Action Montréal, la directrice générale, Fabienne Audette, ne sait plus où donner de la tête. Depuis le 1er avril, elle tente d’identifier la personne qui s’occupe du dossier de la prévention du suicide à la Direction de santé publique de Montréal, maintenant chapeautée par les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS). « On ne sait plus trop vers qui se tourner, les gens se renvoient la balle entre eux. C’est assez préoccupant de voir ça. On a quand même un financement de 829 000 $ et je ne sais même pas à qui m’adresser dans le réseau. Le système est complètement désorganisé. »

Une « maison des fous »

À l’Association québécoise de prévention du suicide, Jérôme Gaudreault parle d’une véritable « maison des fous » dans certaines régions. « Avant, on avait un “répondant suicide” dans chaque agence de santé régionale [qui ont été abolies dans le cadre de la réorganisation du réseau de la santé]. Cette personne était le pivot en matière d’offre de services de prévention du suicide sur le territoire. Mais dans la foulée de la réorganisation, ces personnes-là ont été réaffectées ailleurs et elles n’ont pas été remplacées. Ça fragilise beaucoup l’offre de services qui peut se donner sur un territoire donné et il y a de très grandes inquiétudes. »

En matière de prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), on voit aussi des impacts au quotidien. Et cela se traduit, inévitablement, par une diminution des services aux personnes qui vont chercher du matériel stérile au petit matin, soutient la directrice de Cactus, Sandhia Vadlamudy. « On commence à couper les heures de services la fin de semaine à la fin de la nuit. Dans les prochaines semaines, les portes fermeront désormais à 4 h plutôt qu’à 6 h du matin. On étendait nos heures d’ouverture, mais là, on ne peut plus l’absorber. »

Pourtant, au printemps dernier, lorsque le ministère de la Santé a annoncé aux directions de santé publique qu’il devait couper 30 % de leur budget, on lui avait demandé de ne pas toucher aux services. « La directive du MSSS a toujours été claire : les efforts devront se faire sur les activités administratives, il ne faut pas toucher aux services. Les services communautaires ne doivent pas être touchés non plus », réitère la porte-parole du ministère, Noémie Vanheuverzwijn.

Perte d’expertise

Mais les directions de santé publique interrogées par Le Devoir ont beau avoir fait des efforts pour limiter les impacts sur la population, ils ne peuvent faire des miracles.« On a tout fait pour maintenir notre mandat de promouvoir, prévenir et protéger la population, affirme Mélissa Généreux à la Direction de santé publique de l’Estrie. Mais en même temps, on devait fixer en mars des cibles d’optimisation précises. Et ces cibles-là, c’était en grande majorité des cibles qui touchaient des ressources humaines,[dont] des professionnels. »

Les directeurs de santé publique ont beau répéter que les services à la population sont maintenus, plusieurs sont préoccupés par la perte d’expertise et de relève dans le réseau. « Oui, ça nous inquiète, avoue Alain Carrier, cadre supérieur à l’administration des programmes de santé publique à Laval. On souhaite tous que la période que l’on vit ait une durée limitée. »

À l’échelle du Québec, ce sont des infirmières, sexologues, nutritionnistes, organisateurs communautaires, sociologues et professionnels de recherche qui ont perdu leur poste. « C’est évident que si on coupe une infirmière qui s’occupe de l’allaitement ou une sexologue qui s’occupe de bâtir des programmes qui aident les jeunes à bien apprivoiser leur sexualité, l’impact est direct, dénonce la médecin en santé publique Ak’Ingabe Guyon. Ça veut dire que sur le terrain, il y a moins de soutien à l’allaitement, que ce soit parce que les gens qui ont été coupés formaient des intervenants et des cliniciens ou parce qu’ils organisaient les soins et s’assuraient que toute la chaîne soit faite. »

Les dossiers orphelins jugés prioritaires sont transférés à d’autres qui avaient déjà des tâches pleines et qui doivent réorganiser leurs plans de travail pour y ajouter de nouvelles fonctions.

Promotion et prévention

Pratiquement tous les secteurs ont été touchés, mais c’est le secteur de la prévention et promotion qui a le plus écopé, note Malorie Toussaint-Lachance, de la Fédération des professionnèles de la CSN, qui compte des membres dans sept directions de santé publique au Québec. Selon elle, les impacts sur la population ne se limitent pas à l’offre de services, maintenue de façon quasi artificielle dans certaines régions. « Les coupes se font sentir parce qu’on a moins de marge de manoeuvre pour produire et développer des outils [en prévention et promotion]. »

Les organismes communautaires, qui agissent sur le terrain, s’inquiètent. Des programmes sont coupés. Les tables de concertation, qui permettent de regrouper tous les acteurs sur un dossier précis, ont été mises sur la glace, menaçant certains projets.« C’est surtout au niveau de la concertation que ça se joue, note Manon Monastesse de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, qui agit en prévention de la violence conjugale. Il y a plusieurs tables de concertation qui ne sont plus opérationnelles ou qui vivotent. Tranquillement, mais sûrement, il va y avoir des impacts, mais c’est surtout l’an prochain qu’on va le voir. »

Au ministère de la Santé, on répond que « les tables en lien avec les domaines d’intervention en santé publique sont remises en place : maladies infectieuses, prévention et promotion, santé au travail, santé environnementale, surveillance ».

Pour le Dr David-Martin Milot, membre du regroupement Jeunes médecins pour la santé publique, le gouvernement Couillard fait fausse route, rappelant que pour chaque dollar investi en promotion, on épargne de 5 à 10 $ en soins de santé. « En santé publique, on a une expertise pour voir ce qui a un impact sur les déterminants plus profonds de la santé. Et ce qu’on voit est très menaçant. »

Lire l’article de Jessica Nadeau sur Le Devoir